top of page

Ti Rat, éternel combattant rasta

L'artiste de Sainte-Anne sort un brillant septième album, gorgé d'africanisme et d'envie de secouer le monde. Chez Ti Rat, la pensée rasta est tout sauf un prétexte. Ti Rat est en colère mais ce n'est pas nouveau. Car Ti Rat est un boug tendu comme un arc. Pas de ces faux rastas qui vous disent "yesai" en sirotant leur Dodo. Non, Ti Rat est un vrai rasta, concerné par le monde, qui veut le bouger, le secouer. Depuis vingt-sept ans il n'a pas coupé ses dreads. Et depuis vingt-trois ans, avec son groupe Rouge Reggae, il balance sa musique à qui veut l'entendre, construite, sérieuse, intense. En ce sens, son septième album, "The way of life" est un modèle du genre, du travail de pro, gros son, paroles qui claquent (lire par ailleurs). Et Ti Rat se demande toujours pourquoi il est aussi peu diffusé sur sa propre ile alors qu'il reçoit des messages de New York, du Chili, du Mexique "de gars qui me disent qu'ils sont en train d'écouter Rouge Reggae". Mais elle n'est pas là, la vraie colère de Ti Rat, pas dans ces quelques péripéties matérielles qui ne sont rien face à la cause qu'il défend depuis ses débuts : "le respect des droits de l'homme, l'africanisme, la prise de conscience du monde par le peuple". Le chemin est lent, long, et peut-être vain, mais Ti Rat pourra se dire qu'il a essayé : "On dit qu'une main lave l'autre. Alors astèr out main lé prop, tire la merde dans out zyé". Et si ça ne marche pas, "si Jah me prête vie pour voir comment la cocotte va exploser, je dirai : I told you that man, je vous l'avais bien dit". Bref, aller rencontrer Ti Rat, chez lui, au bout d'un chemin près du Bassin-Bleu, c'est se lancer dans une conversation brillante et échevelée, qui mêle la philosophie du black power et les citations de Gaby Lai-Kune. ​ "DANS LES OREILLES DES GARS DU G20" ​ Sainte-Anne, Ti Rat - Lebeau Alain Joseph de son vrai nom - ne l'a jamais quitté. "Comment j'aurais pu ? Marley, Marcus Garvey sont aussi nés à Sainte Anne", rigole-t-il. Et le reggae s'est imposé à lui "parce que je suis né dans une situation sociale comme un Jamaïcain : papa coupeur de canne, maman sans travail, couturière. A ma mère, avant même que je quitte l'école, je parlais de Rastafarai d'Ethiopie, de Malcolm X, de Martin Luther King. Jomo Kenyatta, Aimé Césaire. Elle trouvait bizarre que je parle de leaders noirs, alors je lui disais qu'il y avait même une femme, Rosa Parks grâce à qui était écrit partout "Never sitting back no more". Quand Ti Rat vous cause, l'anglais vient tout seul, en paroles de chansons, s'entremêle au créole et au français, comme naturellement. Comme dans cet album, où l'on trouve aussi du malgache. "L'important c'est que le message soit compris, j'aimerais que ces morceaux arrivent dans les oreilles des gars du G20, de la communauté européenne, de tous ces gens qui essaient de nous faire croire que tout ce qui arrive aujourd'hui est de notre faute, nous le peuple, les gens qui travaillent pour bouffer". Parce que Ti Rat, dans sa case face à la mer au milieu des cannes, c'est le mode de vie rasta sans dépendre de Babylone. "J'ai ma musique, je vis de la terre, de la mer, je n'ai jamais touché le RMI. Un coup je gagne 1500 euros, un coup 500, et après ? Je n'ai jamais entraîné personne avec moi. C'est Ti Rat et Rouge Reggae, pas le groupe de Ti Rat, personne n'est enchainé à moi. Le reggae, c'est justement se libérer de ses chaines". Et en ce sens, "je ne suis pas un artiste de La Réunion pour La Réunion. Mon message, c'est pour l'océan Indien, pour le monde. Je suis pro africain, la dette envers les esclaves existe mais je ne veux pas de monnaie, je veux qu'on me reconnaisse mon identité de citoyen de l'Afrique de I'Est, qu'on l'inscrive sur mon passeport". La conversation s'emporte vers la légalisation du zamal - "il serait temps, soyons concrets, quand on voit des gamins qui prennent aujourd'hui n'importe quoi de synthèse"- la route du littoral - "une vaste blague qui enrichit des sociétés extérieures alors que 120 000 Réunionnais vivent avec moins de 10€ par jour" - ou ce perroquet qui a élu domicile chez Ti Rat depuis trois mois. "On ne sait pas d'où il vient, et il est bagué, il cherche de l'affection tout le temps mais il fiche un sacré bordel". Un peu comme Ti Rat finalement : doux en apparence, mais drôlement remuant, l'animal ! ​ L'album de la densité. Rien n'a été laissé au hasard. De la photo de couverture une ruelle quartier de Maroakatsaka à Hell-Ville (Nosy Be) -, jusqu'au dernier souffle de chœurs, ce septième Ti Rat a de quoi impressionner par la densité du son et l'équilibre des matières. Entièrement enregistré au studio personnel de Sainte-Anne et mixé par le camarade Manjul à Paris, "The way of live/Part 1" emprunte bien entendu tous les incontournables du reggae, lignes de basse profondes, nappes d'orgue, cuivres qui cognent, et percussions disséminées. Mais il y a bien la "Ti Rat touch" dans l'affaire, lui qui dit avoir livré "les chansons guitare/voix, brutes" à ses musiciens, les mêmes que dans l'album précédent, "20 ans". Un sens évident de la mélodie, que ce soit minimaliste sur un demi-ton "The way of live" ou sur le très dansant "Nosy Be". Une vraie recherche de puissance roots puis "In dis way", "Conjoncture sociale", "M. Government" sans craindre de se frotter aux clichés du genre "Rouge reggae music", chœurs en tête et échos trainants. C'est côté textes que Ti Rat poursuit avec la même sincérité sa route mondialisante, avec chansons en français, créole, anglais sur ces "Kwassa kwassa i transporte pas vazaha", cette "Conjoncture sociale i fé trame sur nout tête un sentiment de haine raciale, un réveil brutal" tandis que "like a lion, Rastafarai protects his nation". Clairement, pour qui n'a jamais écouté de reggae made in Réunion (il y en a), ce Ti Rat & Rouge Reggae épisode 7 est une parfaite introduction à ce que la créolité sait encore apporter à une musique... originellement créole. Pour les initiés, nous voici en présence d'une puissance sonique sans doute déjà égalée mais qui brille de souplesse et d'affinage. Quant aux tubes, si vous les cherchez, en voici deux. D'abord "Conjoncture sociale" au refrain imparable. Ensuite, "Nosy Be", groovy à souhait, où Ti Rat fait fi des accents (anglais, malgache de cuisine) pour donner un morceau qui ressemble à l'océan Indien : léger, pouakant de soleil et pourtant concerné. Ça n'a rien d'un détail : Ti Rat, dans cette île malgache, est en train de monter une bibliothèque. Nosy Jah ?

David Chassagne

LE JOURNAL DE L'ÎLE

11 août 2017

Ti Rat, éternel combattant rasta
bottom of page